Enquête. Non respect des mesures sanitaires : les catholiques intégristes face à la crise du Covid-19.

Achille Dupas, Canelle Corbel, Nathan Binet

Enquête. Non respect des mesures sanitaires : les catholiques intégristes face à la crise du Covid-19.

Enquête. Non respect des mesures sanitaires : les catholiques intégristes face à la crise du Covid-19.

Achille Dupas, Canelle Corbel, Nathan Binet
21 mars 2021

En pleine crise sanitaire, les discours alternatifs et les comportements dangereux sont particulièrement développés au sein de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, mouvement catholique traditionaliste. Entre discours qui tendent vers le complotisme et défiance vis-à-vis du gouvernement, le rapport du groupe religieux à la crise sanitaire interroge l’action de l’État.

 

Les fidèles prennent place un à un sur les bancs de l’église. Malgré l’écriteau de rappel affiché à l’extérieur, les mesures sanitaires obligatoires semblent s’arrêter au seuil de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, située dans le Ve arrondissement parisien, en cette fin d’après-midi d’octobre. En pleine crise sanitaire, les masques et la distanciation sociale ne font pas partie des préoccupations de la cinquantaine de personnes rassemblées pour assister à la messe. À la sortie, les discussions à masques tombés commencent sur le parvis de l’église, le prêtre serrant la main à qui vient le remercier. Dans la capitale, l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet est le principal édifice religieux de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). Depuis le début de la crise du Covid-19 en en France, le mouvement catholique intégriste a une conception toute particulière de la situation sanitaire et des mesures imposées par le gouvernement.

Durant le premier confinement déjà, la Fraternité a fait parler d’elle à plusieurs reprises. En cause, une fâcheuse tendance à organiser des messes clandestines. Comme en avril 2020, où un prêtre de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet a écopé d’une amende pour avoir organisé une cérémonie rassemblant plusieurs dizaines de personnes. Et ce en plein confinement, alors que tous les autres établissements étaient fermés. En novembre dernier à Aix-en-Provence, des fidèles avaient eux aussi été verbalisés pour des raisons similaires. La FSSPX a particulièrement eu du mal à se plier aux règles, organisant manifestations et contestations pour demander le retour de la messe.

“Ici, on a le masque dans nos sacs ou nos poches, mais soyons honnêtes, nous ne le portons pas dans la chapelle”, confie un fidèle de la chapelle Saint-Michel, à La Roche-sur-Yon en Vendée. De manière générale, les mesures sanitaires imposées et la réalité de la pandémie elle-même se confrontent souvent aux conceptions religieuses absolutistes. Avec des conséquences sur les discours et les comportements des fidèles.

 

Des manquements aux restrictions à la minimisation de l’épidémie

“La Vendée est encore épargnée par le Covid-19”, assurait en octobre dernier l’abbé de la chapelle, convaincu de ses propos. Il précise tout de même demander à ses fidèles de respecter les gestes barrières : “Mais que voulez-vous ? Ils font ce qu’ils veulent et nous n’avons eu aucun cas de Covid-19. Même lorsque je me rends au chevet des malades dans les hôpitaux pour faire l’aumônerie, il n’y a pas de cas. C’est un fait”, soutient l’homme de foi.

Si le département de la Vendée ne fait pas partie des plus touchés par l’épidémie, le taux d’incidence a tout de même franchi le seuil d’alerte maximale fixé à 250 cas pour 100 000 habitants lors de la deuxième vague. Dans l’ancien bâtiment industriel aménagé en chapelle, les missels, des livres religieux, sont en libre service. Sans désinfectant. “Ils sont là en cas d’oubli”, explique une fidèle. Deux autres croyants avouent même s’être rendus à plusieurs cérémonies lors du premier confinement : “Nous ne pouvions pas rater les messes”, soutiennent-ils.

Début mars, dans la chapelle Sainte-Anne à Vannes, tous les sièges sont occupés, et certains fidèles se retrouvent même debout, par manque de place. “Avant de débuter la messe, je voudrais vous demander mes chers fidèles de respecter les règles de distanciation sociale. Nous risquons de la délation”, prévient l’abbé. Mais rares sont ceux qui se désinfectent les mains en entrant, et nombreuses sont les jeunes mères de familles qui entament des discussions à voix basse à quelques centimètres du visage de leurs interlocutrices…Toujours sans masque.

“Il faut arrêter avec toutes ces mesures liberticides. Les masques, je m’en fous. Je n’y crois pas, j’estime que pour n’importe quelle grippe plus virulente que celle-ci, ils n’ont jamais été utilisés de cette manière comme aujourd’hui. Je ne dirais pas que nous nous embrassons et que l’on se mélange mais, ici, personne n’est paranoïaque. Arrive ce qu’il arrive comme Dieu le veut”, lance un fidèle de Vannes, très bavard et ravi de donner son opinion sur le sujet. Ici, on parle de “la réalité que l’Etat et les médias mainstream cachent aux citoyens français”. Avec lui comme d’autres membres de la communauté religieuse, il n’y a pas de place à la discussion. On y flirte même avec le complotisme.

L’ensemble de ces discours sur la crise sanitaire, malgré le caractère traditionaliste et intégriste du groupe religieux, ne surprend qu’en partie le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel : “On aurait pu penser que devant la gravité de cette pandémie ils allaient d’une certaine manière dire que le premier devoir de tout catholique était d’obéir aux lois de l’État. Ils ont très vite changé de position quand est arrivée l’interdiction de la messe”. L’ancien directeur de la revue Esprit voit dans cette forme de résistance l’occasion pour les membres de la Fraternité de “redevenir des martyrs, au sens premier du mot, des témoins de la foi. […] C’est un raisonnement totalement éloigné de nos concepts, de nos principes et de nos logiques modernes”

La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, une communauté catholique intégriste en rupture avec le Vatican


La FSSPX est une communauté catholique traditionaliste que l’on peut qualifier d’intégriste, d’anti-moderne et d’anti-libérale. Ce groupe religieux s’est créé en 1970 sous l’impulsion de l’évêque Mgr Marcel Lefebvre, en opposition au Concile de Vatican II (1962-1965), qui s’est traduit par une modernisation de l’Église et de ses pratiques. Cette réforme est considérée comme trop progressiste et éloignée des valeurs traditionnelles catholiques par la Fraternité. Depuis 1988, la FSSPX est en état de scission avec le Vatican.

Ses membres sont présents dans 37 pays dans le monde : elle revendique 150 000 à 200 000 fidèles, dont 35 000 en France. Elle constitue aujourd’hui un réseau bien établi, avec une trentaine d’établissements scolaires hors contrat qui accueillent environ 4 000 pensionnaires et un institut universitaire à Paris. Elle dispose aussi de sa propre maison d’édition de manuels scolaires, Clovis.

Les pratiques et l’idéologie dominante au sein de la FSSPX interrogent : plusieurs témoignages évoquent des méthodes éducatives parfois traumatisantes coupant les enfants de l’extérieur de la communauté. Le rapport 2017 de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) note également l’existence de discours empreints d’antisémitisme, de racisme et de xénophobie, ainsi que des manquements sanitaires au niveau des vaccins, qui ont conduit à la propagation d’une épidémie de rougeole en  2012.

Sources : Le Parisien, RTS, L’Obs

 

Des discours ambivalents sur la crise sanitaire

Quand on se penche sur les différents discours tenus au sein de la Fraternité, une curieuse ambivalence se révèle, entre prise en compte de la réalité de la crise et remise en cause (plus ou moins assumée) des discours officiels. Les messes prononcées à l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet sont toutes diffusées en direct sur Youtube, et visionnables a posteriori. Une démarche qui semble s’inscrire dans le respect des restrictions sanitaires. En réalité, elle l’est un peu moins au visionnage de certaines messes. Dans l’une d’elles, datant du 11 novembre, intitulée “Covid et mort des libéraux”, l’abbé tient ces paroles au micro : “Ayons l’espoir que ce virus ou pseudo-virus, en tout cas cette chose que l’on fait courir au moins dans les journaux, causera là, non pas la mort de milliers de personnes, mais la mort du libéralisme”. Plus récemment, la question de la vaccination est également devenue un des sujets sensibles au sein de la FSSPX. Sur son site internet, le discours se veut plutôt conforme à celui des scientifiques. Au terme d’une longue dissertation de théologie morale sur la question de la compatibilité de la vaccination avec les principes religieux, le texte en question conclut finalement à un feu vert (bien que toujours très prudent) sur l’utilisation des vaccins.

Mais encore une fois, les discours internes sont bien différents. Un fidèle rencontré à Vannes tient un discours correspondant en tous points aux théories complotistes les plus répandues : “On sait très bien que le taux de létalité n’est pas celui qui est annoncé […]. On a des informations catastrophistes et mensongères”. Il explique également qu’il refusera de se faire vacciner, “étant donné les apprentis sorciers auxquels on a affaire et ce depuis des décennies. Je ne conteste pas certains vaccins que j’ai eu quand j’étais petit, qui n’ont pas du tout les mêmes procédés. Mais on en a assez de l’utilisation politique par les GAFA pour pousser l’homme à une lubie sanitaire. On ne va pas en plus se rajouter un puçage animalier”. Par la même occasion, ce dernier exprime son point de vue sur l’efficacité “prouvée” de l’hydroxychloroquine, ou encore la nature sataniste des valeurs de la République.

En ligne, l’activité la Fraternité est tout aussi problématique. Sur un groupe Facebook privé rassemblant plusieurs milliers de fidèles, la question des vaccins anime les sections commentaires et fait ressortir les idéologies les plus moyenâgeuses.

 

Sous une publication du même groupe partageant un article “Vaccin Covid-19 – Un prêtre allemand de la FSSPX s’exprime : c’est NON !”, qui désigne le vaccin comme un programme satanique, les débats sont animés dans les commentaires. Même si tous les fidèles ne semblent pas complètement hermétiques à la parole scientifique et institutionnelle, force est de constater que le discours de la Fraternité est un fort vecteur de complotisme et de positions anti-vaccination.

La Fraternité a également mis au point un système de correspondance avec les fidèles. Ils peuvent poser les questions souhaitées via une adresse mail dédiée et recevoir la réponse d’un prêtre. Interrogé via ce système en nous faisant passer pour un fidèle, un religieux assume : “Il faut bien avouer que le gouvernement nous prend pour des idiots et fait passer des lois absurdes, via les médias qui ont tout pouvoir de faire la vérité que certains décident.” Questionné sur le sujet, il légitime également une position de “méfiance” vis-à- vis des vaccins.

Comme l’explique l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes), la Fraternité met bel et bien en place un double discours : “Ils disent quelque chose mais tout en disant l’inverse. On retrouve cela chez tous les gens qui sont anti-science et anti-vaccins. [La remise en cause] n’est pas dite directement, ils ne sont pas fous, explique Pascale Duval, porte-parole de l’Unadfi. Dans le cas de la FSSPX, il y a cette volonté de montrer que Dieu a le pouvoir sur tout”. 

Pour Marie Drilhon, présidente de l’ADFI des Yvelines (Associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes), “ils sont très méfiants par rapport à tout ce qui vient des autorités.  [Pour eux], quand on est malade, celui qui guérit c’est plutôt Dieu”. Elle détaille : “Dans la Fraternité, si le prêtre dit quelque chose, on  obéit. Et les prêtres estiment que la loi de Dieu vient avant la loi des Hommes”. Le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel évoque le terme “d’intransigeance” pour qualifier leur rapport à l’autorité : “Ils ont un grand adversaire qu’ils appellent […] le libéralisme culturel : la liberté des modernes au plan politique et au plan de la culture est pour eux quelque chose d’inadmissible”.

 

Un positionnement idéologique révélateur de dérives sectaires

Le développement de discours alternatifs dangereux, voire complotistes, au sein de la Fraternité, est loin d’être anodin : il s’apparente aux critères d’une mouvance à dérives sectaires. Pascale Duval, de l’Unadfi, explique que les différentes caractéristiques qui permettent d’identifier une dérive sectaire sont la radicalisation de la personne “qui ne voit plus que par la doctrine qu’on lui propose” et l’emprise, “portée par la doctrine qui fait le ciment entre les adeptes”. Cette emprise se matérialise par une triple rupture avec la société, soi-même, et l’environnement d’origine. “Les adeptes qui en ressortent racontent la même chose que les autres mouvements sectaires, c’est un mouvement sectaire à part entière”, affirme la porte-parole. Comme souvent dans ces mouvements, on observe un rejet de la science et de la médecine. Dans le cas de la FSSPX, la réponse, s’il doit y en avoir une, est Dieu.

Jean-Louis Schlegel explique : “Le pouvoir de l’État laïc qui décrète le confinement, et donc empêche la célébration de la messe, ils l’ont tout de suite mis sur le plan de la liberté religieuse bafouée”. Cette conception de la religion comme loi relève pour le sociologue d’une construction historique d’une méfiance vis-à-vis de l’État démocratique : “Leurs lointains ancêtres sont des gens qui viennent de l’Ancien Régime, qui n’ont jamais beaucoup accepté la laïcité, la démocratie, les choses de ce genre-là. À ce moment-là, ils considèrent qu’obéir à un État laïc, qui est finalement un État athé, c’est absolument inadmissible”. Jean-Louis Schlegel résume ainsi leur positionnement : “Il est important de comprendre toute leur idéologie politique, qui n’est pas nécessairement en adéquation avec la démocratie. C’est une mouvance qui est pour toutes les valeurs d’autorité, d’ordre”.

Se pose alors la question de la reconnaissance et de la prise en charge de ce problème par l’État. Les structures de lutte contre les dérives sectaires, en première ligne, sont elles déjà bien conscientes de la réalité qui se cache derrière ces groupes traditionalistes. La Miviludes a déjà fait mention de la Fraternité dans ses rapports officiels. Contactée, elle n’a cependant pas répondu à nos sollicitations. Il apparaît que les renseignements généraux surveillent la FSSPX. Le fidèle rencontré avant une messe à Vannes explique d’un air amusé : “Même quand j’étais à Paris à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, on a déjà été flashé par les RG qui photographiaient tous les gens à la sortie en essayant d’être discrets. On le sait très bien, on en rigolait”.

Mais pour l’Unadfi, le problème reste sous-évalué et souffre d’un manque de communication publique :  “Il faut qu’on sorte de cette ignorance du phénomène sectaire. Si la personne croit en des choses qui paraissent insensées, ça la regarde. À partir du moment où elle met sa vie en danger et/ou qu’on porte atteinte à sa dignité sans qu’elle ne s’en rende compte, là il y a préjudice aussi, et la société devrait s’en occuper”. 

Le positionnement de la Fraternité sur la crise sanitaire interroge d’autant plus que le mouvement dispose d’un important réseau d’écoles privées hors contrat. “On a l’impression qu’ils ne respectent pas un certain nombre de règles, que la discipline qui est pratiquée avec les élèves est totalement en dehors des clous”, résume Jean-Louis Schlegel. Mais là encore, pour la Fraternité, c’est la loi de Dieu qui prime sur celle de l’État laïc.

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